Antoine Vitez (1930-1990) 2 décembre 1930 30 avril 1990 |
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Antoine Vitez a marqué d’une empreinte profonde le théâtre contemporain. Il faisait sienne la formule de Schiller sur « le théâtre élitaire pour tous ». Poète, metteur en scène, comédien, directeur de théâtre, il s’est montré attiré par les grandes formes de la culture théâtrale autant que par les marionnettes, par les textes classiques autant que par l’extrême contemporain. Il aimait perturber l’usage habituel des emplois. Au sens fort du mot, il fut un maître, mais étranger aux prérogatives habituelles de la fonction : « Maître sous une apparence non directive. Le comble de l’élégance… » Il accordait une grande importance à l’enseignement, persuadé comme Gilles Deleuze que « c’est ce qu’on cherche qu’on enseigne le mieux ». Ainsi dispensait-il de formidables leçons d’énergie. Enseigner, pour Vitez, signifiait se trouver à l’origine. L’école, « le plus beau théâtre du monde », était pour lui le lieu de l’origine. Ne pas hériter, mais enfanter. Se placer au commencement, là où les identités se dessinent, où le nouveau surgit. Il y a dans son parcours, dans son œuvre, un appel à regarder loin, au-delà de la ligne d’horizon, venant d’un homme qui nous dit qu’il n’y a qu’une nostalgie qui vaille : celle de l’Avenir. Il apprend le russe en autodidacte, traduit des auteurs soviétiques et devient le secrétaire de Louis Aragon au début des années 60. Il suit une formation d’acteur et devient lui même un excellent pédagogue : il enseigne à l’école Jacques Lecocq, puis au Conservatoire. Cette activité restera toujours pour lui d'une importance égale à son travail de créateur. Selon le principe d’association d’idées, il propose des variations de jeu à partir des textes, fait permuter les conventions (jouer une scène tragique comme une comédie ou vice et versa), donne une place privilégiée à la diction du vers et à la musicalité de la langue. Parallèlement à ces activités, il dirige, à partir de 1972, le Théâtre des quartiers d’Ivry. Il y met en scène Les Miracles, d'après les Evangiles selon Saint-Jean, deux versions de la Jalousie du Barbouillé, une farce de Molière. Il adapte des romans : Vendredi ou la vie sauvage, de Michel Tournier en 1973, Catherine, d'après Les Cloches de Bâle d'Aragon en 1976 et La Rencontre de Georges Pompidou avec Mao Zedong en 1979. En 1981, il est nommé à la direction du Théâtre de Chaillot. Dans chacun de ces lieux, il ouvre une école. Il dirige le premier Faust qu'il avait déjà monté à Ivry, Tombeau pour 500 000 soldats d'après le roman de Pierre Guyotat, Britannicus de Racine, représentés tous trois dans un même décor (une forêt). Sa réalisation la plus célèbre reste Le Soulier de Satin de Claudel montée en Avignon en 1987 et repris à Chaillot. En 1988, il devient administrateur général de la Comédie-Française. Il y met en scène Le Mariage de Figaro de Beaumarchais et La Vie de Galilée de Brecht, avant d’être emporté par une hémorragie cérébrale. « Si je regarde ces trois saisons accomplies, si je cherche à en trouver le sens, ou les mots qui conviennent pour les désigner, je reprendrai une expression ancienne, une idée d’avant-guerre, théâtre d’Art ; nos aînés l’employaient. Ce qu’est le comédien : une espèce qui travaille « L’espèce, dit Duclos, terme nouveau, mais qui a un sens juste, est l’opposé de l’homme de considération ; l’espèce est celui qui n’ayant plus le mérite de son état se prête encore à son avilissement. » L’espèce, c’est le caractère hors caractères et la condition hors conditions ; mais de cette exterritorialité, elle tire l’aptitude à porter tous les masques ; elle est susceptible de représenter n’importe qui : dans cette suprême mutabilité, on reconnaît le type du comédien. Le « moi » du comédien, comme celui du bouffon, s’identifie donc à ce regard du dehors depuis lequel il observe le réel pour le singer, regard par lequel il s’exclut de l’espace social et, dans le même temps, renvoie à celui-ci une image qui tout à la fois le constitue et le subvertit. Cependant le comédien a ceci de différent avec le bouffon-parasite que son jeu, sinon sa personne, s’appuie sur une reconnaissance collective, est attaché à un lieu public - le théâtre - et se monnaye régulièrement contre un salaire : hors de l’illusion dramatique, l’exterritorialité du comédien constitue une révoltante anomalie ; celle du bouffon définit le bouffon, et pour lui il n’y a pas d’illusion. Seul le rire protège son discours excentrique. Soumis à un même travail de la négativité au bas-bout social de la table, le bouffon et le comédien ont des fortunes opposées : le premier se nourrit de l’abjection même qui le pervertit et désire qu’elle se perpétue ; il incarne la négativité même qui le détruit ; le second prétend à autre chose et se révolte contre une exclusion sociale contraire à son activité artistique. Le fait même qu’il joue de sang-froid prouve que son jeu est un travail ; le bouffon, lui, ne travaillait pas. Or ce travail là n’a rien à voir avec le travail de la négativité. Quand l’acteur et le bouffon rompent les règles garantissant leur exterritorialité En faisant jouer le sens du texte, l’acteur remplit une fonction idéologique Le pacte tacite et la fiction moralisatrice du message théâtral Le regard voyeuriste |
L'acteur est un poète qui écrit sur le sable... On ne saurait dénier à l'acteur la qualité du poète. Comme un écrivain, il puise en lui-même, dans sa mémoire, la matière de son art, il compose un récit selon le personnage fictif proposé par le texte. Maître d'un jeu de leurres, il ajoute et retranche, offre et retire ; il sculpte dans l'air son corps mouvant et sa voix changeante... Mais aussi c'est sur le sable. L'édifice ne dure pas longtemps, le vent et les vagues le recouvrent bientôt : il ne demeure que dans la mémoire de ceux qui l'ont vu. a cause de cela même, il devient comme un événement de l'histoire ; nous nous souvenons des pièces de théâtre comme de ce qui nous est arrivé dans la "vraie" vie.
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